Décryptage : « la force majeure », oui mais encore?

Décryptage
Partager
Imprimer

Qu’il s’agisse de la tempête de verglas du 5 avril dernier ou de la pandémie, un évènement imprévisible, hors de notre contrôle et qu’on ne peut empêcher peut être qualifié de « force majeure ». C’est un concept juridique à comprendre puisqu’il pourrait vous dégager de vos engagements.

La pandémie : un cas de force majeure

Lors des dernières années, certaines personnes ont plaidé que la pandémie est un cas de force majeure justifiant ainsi des manquements à leurs obligations. Différents tribunaux ont examiné cet argument.

En août 2020, un homme louant un appartement de luxe à Laval s’est adressé au tribunal administratif du logement pour demander une baisse de loyer. Il invoquait qu’il n’a pas pu profiter des services pour lesquels il versait alors un loyer élevé. En effet, le propriétaire de l’immeuble a fermé l’accès aux services, dont une piscine intérieure et une terrasse, suivant les mesures gouvernementales mises en place pour prévenir la transmission de la COVID-19.

Le Tribunal a confirmé que la pandémie était ici un cas de force majeure. Le propriétaire n’avait pas à exécuter son obligation de fournir les avantages inclus au bail. En fait, il ne pouvait pas les fournir vu la situation sanitaire. Cependant, le locataire avait le droit d’obtenir une diminution de son loyer pour 6 mois, soit 150 $ de diminution sur son loyer mensuel, puisqu’il était privé des services inclus au bail.

Prouver l’impossibilité

Le même mois, la Cour supérieure est confrontée à un argument similaire. Un couple poursuit les vendeurs d’une maison qui avaient accepté leur offre d’achat et avec qui ils avaient signé une promesse d’achat plus tôt dans l’année.

Lorsque l’urgence sanitaire a été déclarée en mars, les vendeurs comme le couple ont confirmé que la signature de l’acte de vente aurait toujours lieu en avril.  Les acheteurs ont donc sous-loué leur appartement pour la date de prise de possession. Cependant, les vendeurs ont tenté d’annuler la promesse d’achat en avril 2020 en invoquant la force majeure puisqu’ils n’avaient pas réussi à se trouver une nouvelle maison.

La Cour supérieure a conclu qu’il n’y a pas de force majeure en l’espèce et que les vendeurs devaient rembourser aux acheteurs les frais additionnels encourus et procéder à la vente puisqu’ils n’étaient pas dans l’impossibilité de respecter leurs obligations en raison de la pandémie. Les vendeurs auraient dû démontrer qu’il leur a été impossible de se reloger et qu’ils ont fait des démarches sérieuses pour tenter de trouver un lieu propice. Le fait que le relogement aurait été plus coûteux ou plus compliqué n’est pas suffisant pour conclure à une force majeure.

Un concept qui remonte à loin

La force majeure peut résulter du fait de l’être humain, comme la guerre, l’émeute ou l’état d’urgence déclaré par le gouvernement dans le cas d’une pandémie. Mais elle peut également résulter du fait de la nature ou même de l’acte d’une autre personne.

Le 15 novembre 1995, de grands vents atteignant jusqu’à 96 kilomètres/heure ont frappé la région de Québec. Le garage de toile d’un résident a alors été emporté par le vent, frappant la résidence de son voisin. Deux ans plus tard, la Cour du Québec a décidé que la responsabilité du résident ne pouvait pas être retenue puisque les dommages à la résidence de son voisin étaient causés par un cas de force majeure.

Dans un autre jugement de 1998, la Cour supérieure s’est penchée sur le cas d’une fillette mordue par un chien. La jeune fille flattait un chien couché paisiblement lorsqu’un jeune garçon qui jouait autour est tombé sur elle, la projetant sur le chien qui a réagi instinctivement en mordant l’enfant.  Les parents de la fillette ont poursuivi le propriétaire du chien, lui réclamant de l’argent pour les blessures subies par leur fille.

Dans cette affaire, le propriétaire du chien exploitait un centre de plein air dont la mascotte était l’animal de compagnie. Le chien, bien habitué aux enfants, n’avait jamais montré de signes d’agressivité ni occasionné de problèmes à son propriétaire.

La cour a conclu que le geste d’une personne étrangère à l’auteur du dommage, comme le jeune garçon, s’assimile à un cas de force majeure pouvant exclure la responsabilité du propriétaire du chien. En effet, l’acte commis par le garçon était imprévisible, hors du contrôle du propriétaire et ce dernier n’aurait pu le prévenir, répondant ainsi à la définition de la force majeure.

En résumé

Selon les circonstances, un évènement peut être considéré comme un cas de force majeure, retirant ou limitant la responsabilité d’une personne qui n’a pas pu respecter ses engagements pour les dommages causés aux bénéficiaires de l’engagement. Tout dépend des faits, notamment si l’évènement a rendu l’exécution de l’obligation impossible et non seulement plus difficile.