La course contre la montre de Chantale Daigle  

Décryptage
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Derrière chaque jugement historique, il y a des personnes qui vivent une histoire et font valoir leurs droits. En 1989, Jean-Guy Tremblay veut faire reconnaître le droit à la vie d’un fœtus. De son côté, Chantale Daigle veut avorter. La cause est si urgente et importante que la Cour suprême du Canada accepte de s’en mêler. C’est un précédent historique en matière de droit à l’avortement jugé dans un délai record. 

Début et fin d’une relation

Jean-Guy Tremblay et Chantale Daigle amorcent leur relation en novembre 1988. Les choses semblent bien se passer. Si bien qu’il la demande en mariage et la convainc de cesser la contraception. Elle apprend qu’elle est enceinte vers le mois de mars 1989.

Mais, leur relation s’envenime. Monsieur devient contrôlant et violent. Madame songe à le quitter et à se faire avorter. Leur relation prend fin au début de juillet 1989. Madame entreprend les démarches pour se faire avorter. Elle est alors enceinte de 18 semaines. Plus les semaines avancent, plus l’avortement est difficile voire risqué.  

Note de la rédaction : bien que dans les procédures judiciaires, le prénom de Chantale soit orthographié sans «e», Mme Daigle a toujours écrit son prénom avec un « e ».

La seule Québécoise qui n’a pas le droit d’avorter

Monsieur entame un processus judiciaire pour empêcher l’avortement. Selon lui, le fœtus est un être humain qui a le droit à la vie. Et en tant que futur père, il veut pouvoir s’opposer à l’avortement. Sur ces arguments, un juge accorde une injonction provisoire le 7 juillet. Ce jugement interdit à Madame de se faire avorter.

L’injonction est une obligation que le tribunal impose à une personne de faire ou de ne pas faire quelque chose.

Obtenir une injonction peut prendre un certain temps. En attendant la décision finale de la ou du juge, on peut obtenir une injonction interlocutoire. Cette injonction est valide jusqu’au jugement final.

Et si la situation est urgente, c’est-à-dire que la personne qui la demande ne peut pas attendre, une injonction provisoire peut être demandée. Cette injonction est valide 10 jours.

Dix jours après l’injonction provisoire, l’ex-couple se retrouve au tribunal. Le juge se rend encore aux arguments de Monsieur Tremblay et accorde une injonction interlocutoire. Si Madame se fait avorter, elle s’expose à 50 000 $ d’amende et deux ans de prison. Elle est alors la seule femme au Québec qui n’a pas le droit de se faire avorter.

Madame Daigle porte ce jugement devant la Cour d’appel qui rend une décision le 26 juillet. La Cour d’appel, maintient l’injonction. Madame Daigle demande, en dernier recours, à la Cour suprême du Canada d’entendre sa cause.

Le 8 aout 1989, la plus haute Cour du pays entend sa cause. Mais pendant l’audience, l’avocat de Madame Daigle informe les juges que sa cliente s’est fait avorter. Les juges décident de poursuivre l’audition. La raison : d’autres femmes pourraient se retrouver dans la même situation que Chantale Daigle qui s’expose à une amende et à une peine d’emprisonnement si l’injonction est maintenue. Finalement, les juges se rangent, unanimes, du côté de Madame Daigle le même jour : l’injonction est cassée.

Le fœtus n’a pas de statut juridique

La Cour suprême du Canada établit que Monsieur Tremblay ne peut pas invoquer le droit de toute personne à la vie pour obtenir une injonction empêchant Madame Daigle d’avorter. Juridiquement, le fœtus n’est pas une personne ou un être humain. Il ne bénéficie donc pas des droits garantis par la Charte québécoise des droits de la personne, notamment le droit à la vie.

Ni la Charte québécoise des droits de la personne, ni le Code civil ne reconnaissent la personnalité juridique d’un fœtus. Les termes « personne » ou « être humain » ne peuvent pas s’appliquer au fœtus. Un fœtus n’acquiert cette personnalité juridique et les droits qui y sont rattachés qu’à sa naissance.

La Cour suprême indique finalement que le futur père ne possède pas de droit de véto quant aux décisions d’une femme relativement au fœtus qu’elle porte.

Les jugent cassent donc l’injonction et c’est comme si elle n’avait jamais existé. Même si Madame Daigle a enfreint l’injonction en se faisant avorter, ça n’a donc entrainé aucune conséquence pour elle.

Depuis cette affaire, le droit à l’avortement à continuer d’évoluer. L’avortement est aujourd’hui gratuit et légal tout au long de la grossesse au Québec. Dans tous les cas, la décision revient à la femme enceinte de poursuivre ou non sa grossesse.

La cause en bref

Vous aimez les jugements qui font notre histoire? La Cour suprême du Canada rédige un résumé de chaque décision qu’elle rend, dans un langage accessible. Rendez-vous sur leur site, rubrique la cause en bref.