Bien qu’il y ait eu des dizaines de procès pour sorcellerie en Nouvelle-France, ils ne se terminaient pas par des exécutions, contrairement aux célèbres procès des sorcières de Salem. Autre fait notable, sur les 20 procès pour sorcellerie recensés dans l’ancienne colonie française, seize des personnes accusées étaient des hommes.

La sorcellerie était bien prise au sérieux en Nouvelle-France, mais l’approche était différente de celle des pays européens, explique en entrevue Stéphan Martel, directeur adjoint et historien du Site historique Marguerite-Bourgeoys.
« Il y avait vraiment des croyances en des forces occultes [en Nouvelle-France] », soutient Stéphan Martel. Des pratiques de magies et des pratiques divinatoires, il y en a eu tout le long du régime français […], mais ça n’a jamais mené à des mises à mort, sauf peut-être le cas de Daniel Vuil qui est plutôt complexe. »
Au lieu de la pendaison ou du bûcher, le bannissement était, semble-t-il, la peine la plus sévère que pouvait subir une personne condamnée pour sorcellerie. « [Les peines] n’étaient pas nécessairement en lien avec des pratiques de sorcellerie, ajoute l’historien. C’était plus pour mauvaises mœurs », précise-t-il, évoquant l’exemple d’Anne de Lamarque qui aurait « cocufié » (trompé) son mari.
Ces condamnations étaient d’ailleurs rares et ce genre de procès se terminaient souvent par des acquittements. C’étaient même souvent les accusateurs qui devaient se rétracter « pour avoir eu la langue trop pendue et pour avoir propagé des rumeurs qui n’étaient pas fondées », raconte Stéphan Martel.
L’accusation de sorcellerie était souvent employée pour salir une personne et le procès permettait à cette dernière de laver sa réputation. Ce processus judiciaire permettait ainsi de préserver une certaine paix sociale dans la colonie.
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Le cas de Daniel Vuil Soupçonné d’être à l’origine d’un cas de possession démoniaque, Daniel Vuil a été exécuté en Nouvelle-France en octobre 1661. Cependant, cette histoire de possession ne serait pas la raison de sa condamnation à mort. Intrigue politique, commerce illégal d’alcool avec les Autochtones et inconduite religieuse sont les différentes théories expliquant son exécution. |
Des enquêtes rigoureuses
Si la colonisation a commencé à l’époque des chasses aux sorcières, rapidement les juges français se sont de moins en moins intéressés à la sorcellerie. Remettant en question la réalité de ces pratiques, ils prenaient moins au sérieux ce genre d’accusations. Cette évolution du système juridique français au 17e siècle a évidemment influencé celui de la Nouvelle-France.
Dans un numéro de la Revue d’histoire de la Nouvelle-France consacré à ce sujet et auquel Stéphan Martel a collaboré, on explique que le système juridique français avait des normes de preuve beaucoup plus strictes que celles de la Nouvelle-Angleterre. Et, contrairement aux colonies britanniques, les personnes soupçonnées de sorcellerie en Nouvelle-France n’étaient pas « à la merci d’un jury crédule ».
De plus, à partir de 1624, les personnes reconnues coupables de sorcellerie avaient automatiquement un droit d’appel et peu de condamnations y étaient confirmées.
Puis en 1682, Louis XIV a décriminalisé entièrement la sorcellerie, « affirmant que celles qui se font passer pour des sorcières ou qui sont de mèche avec le diable sont coupables soit de mensonge, soit de blasphème ».
Le nouement de l’aiguillette
L’une des accusations graves de sorcellerie concernait un mauvais sort qu’on appelle le « nouement de l’aiguillette ». Cette pratique consistait à prononcer une incantation en nouant un cordon afin d’empêcher un couple d’avoir des enfants.
« Le nouement de l’aiguillette était une pratique qui était très fréquente dans les communautés paysannes et même dans les villes en France », soutient Stéphan Martel, rappelant que l’impuissance sexuelle était « une très grande peur au 17e siècle ».
L’un des cas les plus célèbres en Nouvelle-France remonte à 1658. Un meunier du nom de René Besnard est soupçonné d’avoir entravé un mariage en utilisant ce sortilège. On ne sait pas s’il a été accusé formellement en sorcellerie, mais il a dû subir un interrogatoire mené par le premier juge civil et criminel de Ville-Marie, son greffier et notaire, ainsi que nul autre que le gouverneur Paul de Chomedey de Maisonneuve.
Résultat? Besnard a été contraint de quitter la ville et en août 1660, le vicaire apostolique François de Laval a annulé le mariage en raison de « l’impuissance perpétuelle causée par maléfice » de l’époux.
Sans mauvais jeu de mots, cette affaire s’est terminée par un heureux (dé)nouement, puisque l’ex-épouse et l’ex-époux se remarièrent avec d’autres personnes et eurent beaucoup d’enfants!