La focaccia est-elle vraiment une pizza?

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Les tribunaux s’intéressent à plusieurs sujets, même à ce qui se trouve dans votre assiette. Qu’elle soit préparée aux herbes, aux légumes ou à la viande, la focaccia est un met pétrie avec la même pâte à pain qu’une pizza. Il existe même une décision qui statue sur les différences entre ces deux mets…   

Question d’exclusivité

L’histoire commence en 2015 dans un restaurant montréalais franchisé. Le bail de l’entreprise est d’une durée de 15 ans dans une foire alimentaire. Dans ce bail, il existe une clause d’exclusivité, soit une restriction limitant une activité similaire en parallèle. Chose importante : la clause d’exclusivité nomme expressément la pizza et les sous-marins chauds comme les seuls éléments couverts.

Le temps passe et un nouveau restaurant s’installe dans la même foire alimentaire que le premier restaurant. À leur menu, on retrouve des pizzas, des sous-marins chauds et des pains focaccia couverts de garnitures. Problème : la clause d’exclusivité empêcherait ce nouveau restaurant de proposer des pizzas et des sous-marins au menu. Le tribunal a donc été interpellé pour savoir si la clause est respectée et émettre des ordonnances urgentes (de sauvegarde) si elle ne l’est pas.  

Une ordonnance de sauvegarde, à quoi ça sert?

Dans ce cas-ci, tout se base sur une ordonnance de sauvegarde. L’ordonnance de sauvegarde est un jugement permettant de régler une question urgente, qui ne peut pas attendre la tenue de l’audience finale, parfois appelée « procès ». Ce jugement est toujours temporaire. En règle générale, l’ordonnance de sauvegarde dure environ trois mois même si des juges pourraient l’émettre pour six mois.

Ce qu’en dit le tribunal

Dans cette affaire, le Tribunal a conclu qu’une pizza est constituée d’une pâte à pain couverte de garnitures dont principalement une sauce tomate et du fromage. Quant à la focaccia, c’est tout simplement un pain.

Cependant, lorsque la focaccia constitue une base de pain recevant des garnitures, elle possède les attributs d’une pizza. D’ailleurs, le menu tiré du site internet du nouveau restaurant indiquait bien la focaccia sous la rubrique « PIZZA ». 

Au-delà de la sémantique, dans cette affaire, il fallait démontrer l’existence d’un préjudice sérieux et irréparable. C’est sur cette notion que les tribunaux réfléchissent pour statuer. En bref, le restaurant qui interpelle le tribunal devait démontrer avoir subi une perte de revenus importante à cause de l’autre restaurant. En droit civil, l’ordonnance de sauvegarde est une question de balance des inconvénients.  

Conclusion du Tribunal : le nouveau restaurant a dû cesser de vendre la pizza aux faux airs de focaccia.

Le saviez-vous?

En principe, ce litige aurait pu continuer jusqu’à l’obtention d’un jugement final qui aurait pu confirmer le jugement temporaire ou énoncer une tout autre conclusion. Cependant, nos recherches démontrent qu’aucun jugement subséquent n’a été rendu dans cette cause. Ce qui laisse croire que les parties ont accepté l’interprétation du tribunal lors de l’ordonnance de sauvegarde.

Un cas d’exception?

Une de nos récentes recherches permet de penser qu’il existe peu de décisions jurisprudentielles qui concernent spécifiquement la définition accordée à des termes culinaires ou à de la nourriture. Souvent, il peut y avoir un litige sur certains termes lorsqu’il y a une clause d’exclusivité et qu’un commerce à proximité semble empiéter sur les activités de l’autre.

Toutefois, c’est en comparant les restaurants dans leur ensemble, que ce soit par leurs activités, leur clientèle ou le type d’établissement, que le Tribunal tranche. Il est un peu plus rare qu’on définisse le produit vendu. L’interprétation de termes en lien avec la nourriture peut également se faire dans d’autres contextes litigieux, notamment dans des cas de suspension de permis d’alcool. Et, si ce cas remonte à 2015, c’est tout simplement parce que les jugements sur ce sujet précis sont peu nombreux.