Démantèlement de campement, une pratique inconstitutionnelle?

Décryptage
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Démanteler les campements des personnes en situation d’itinérance est-il une politique inconstitutionnelle? La question a fait la manchette à quelques reprises en ce début d’année.

Lors de la présentation de son plan sur l’itinérance à la mi-janvier, la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, a évoqué la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi que la jurisprudence pour expliquer la tolérance de la Ville à l’égard des campements pour les personnes itinérantes.  

Une position ressemblant à celle de la Clinique juridique itinérante qui plaide devant les tribunaux que la Ville de Saint-Jérôme contrevient aux droits fondamentaux des personnes itinérantes, puisqu’elle n’offre pas de solution de rechange adéquate lorsqu’elles sont expulsées d’un campement. Un règlement municipal de la Ville de Saint-Jérôme interdit en effet à toute personne de dormir « sur les rues, trottoirs, parcs, terrains de jeux ainsi qu’à toute autre place publique».

Décisions marquantes

Deux décisions juridiques au Canada vont dans le sens des prétentions de la mairesse de Longueuil et de la Clinique juridique itinérante.

La Cour supérieure de la Colombie-Britannique a reconnu en 2008 que les villes ne pouvaient pas par règlement interdire aux personnes en situation d’itinérance de s’abriter la nuit afin de protéger leur vie et leur sécurité lorsqu’elles n’étaient pas en mesure d’offrir un nombre suffisant de places de refuge. 

Un jugement similaire a eu lieu en Ontario, en janvier 2023. Dans cette décision, le juge a statué qu’il était inconstitutionnel d’empêcher une personne de vivre à l’extérieur s’il n’y avait pas d’endroit accessible et disponible à l’intérieur. Les évincer violerait plusieurs droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, selon lui. 

Un risque

Pour la professeure du département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Lucie Lamarche, ces décisions peuvent être considérées comme un progrès pour les personnes itinérantes craignant que leur abri de fortune soit démantelé, mais elle exprime tout de même des réserves sur le long terme.

« Le risque de protéger les campements, c’est celui de ne pas investir et promouvoir dans le droit au logement », soutient la professeure en entrevue au micro d’Angle Droit.

En revanche, ce qu’elle trouve intéressant dans la décision en Ontario, c’est que le juge ne considère pas uniquement que le nombre de places en refuge n’est pas suffisant, « mais aussi, que ces places en refuge ne sont pas à la mesure des besoins des personnes à héberger ».

« Un refuge acceptable, ce n’est pas seulement un lit et un dénombrement de lits, explique Lucie Lamarche. C’est aussi le dénombrement de places qui correspond aux besoins des personnes itinérantes. »

Ces besoins sont divers et peuvent être liés à l’animal domestique ou encore aux effets personnels de la personne itinérante, à la capacité ou l’interdiction de consommer ou de fumer dans un refuge, la violence qui peut s’y produire, ainsi que « la dimension genrée et racisée des refuges », énumère la professeure de l’UQAM.

Questions de sécurité

Dans plusieurs cas, les risques d’incendie ont été évoqués par les municipalités pour justifier le démantèlement d’un campement de personnes itinérantes.

C’est le motif qui fut donné pour le démantèlement du campement le long de la rue Notre-Dame Est en décembre 2020 et celui du boisé Steinberg en mai 2021, tous deux situés dans l’arrondissement Mercier–Hochelaga-Maisonneuve.

Si dans le cas du campement longeant la piste cyclable de Notre-Dame, l’incendie d’une tente avait bel et bien eu lieu peu de temps avant le démantèlement, ce n’était pas le cas au boisé Steinberg.

L’argument de la sécurité, c’est ce dont les villes disposent dans « leur coffre à outils » pour éviter l’accumulation de campements sur leur territoire, mentionne Lucie Lamarche. Elle pense en revanche que cette mentalité est en train d’évoluer.

« Il y a moins de risques que d’outils disponibles pour gérer le risque et les municipalités commencent à comprendre qu’il y a une légitimité du campement », soutient-elle.

Les partenariats avec la société civile, ainsi que la présence de travailleuses et travailleurs communautaires sont des exemples de ressources qui permettent de gérer la présence de campements autrement que par leur démantèlement.

Cohabitation sociale

Le voisinage des campements n’apprécie pas toujours la présence de personnes itinérantes près de leur résidence, comme ce fut le cas en 2021 avec un campement qui s’était installé près de la station de métro Mont-Royal.

Hurlements, bouteilles de bière brisées, violence sont des exemples des diverses problématiques soulevées par les citoyennes et citoyens des environs. Une pétition réclamant un meilleur encadrement de la situation avait d’ailleurs été initiée par des résidentes et résidents du secteur.

En revanche, ce problème de cohabitation sociale existe également autour des refuges d’urgence.

Par exemple, dans le quartier Longue-Pointe, la présence de personnes itinérantes hébergées dans un hôtel avait provoqué beaucoup de tension, poussant également des citoyennes et des citoyens à lancer une pétition.

Des enjeux de propreté, de sécurité, de prostitution et de vandalisme avaient été entre autres dénoncés par les signataires. Après plusieurs mois, les personnes itinérantes ont été relocalisées dans une église d’Hochelaga, suscitant à nouveau la grogne d’une partie de la population habitant à proximité.

« Au risque d’avoir l’air totalement insensible, je dirais que nous devons cohabiter dans l’espace public », réplique Lucie Lamarche. Une cohabitation qui passe par de l’accompagnement, de la médiation et du dialogue, conclut-elle.