Syndicalisation : la Cour suprême dit non aux cadres

Décryptage
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Le 19 avril 2024, la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur l’exclusion des cadres du Code du travail. La cause était celle de l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec. Retour sur un jugement qui met fin à plusieurs années de débats sur la syndicalisation des cadres.  

Ce jugement de 138 pages met fin à près de 15 ans de débat sur la syndicalisation des cadres. C’est un sujet de controverse depuis bien longtemps au Québec. La nouveauté? Pour la Cour suprême du Canada, exclure des cadres de premier niveau des protections accordées par le Code du travail ne revient pas à violer leur liberté d’association. Dans ce jugement, les cadres de premier niveau sont les personnes qui supervisent les opérations. C’est d’ailleurs l’un des principes protégés par les chartes des droits et libertés. En avril dernier, la plus haute cour du pays a donc décidé de rejeter le recours entrepris par les cadres de premier niveau.

Les éléments clés du jugement

Pour comprendre l’impact de ce jugement attendu dans le monde du droit du travail, vous devez savoir que le Code du travail donne une définition assez large de ce qu’est une personne salariée. Cette définition exclut toutefois les cadres. Autrement dit : les cadres ne bénéficient pas des avantages et des protections légales que le Code du travail accorde aux personnes salariées. Parmi ceux-ci, citons par exemple la procédure de grief devant un tribunal administratif spécialisé, l’encadrement du droit de grève du personnel employé ou encore du droit de lock-out de l’employeur.

Pour l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec à l’origine du recours, cette exclusion viole la liberté d’association protégée par les chartes québécoise et canadienne des droits et libertés. C’est pourquoi elle a demandé d’être reconnue comme syndicat en novembre 2009, même si elle représentait des cadres et non des personnes salariées.

Or, la Cour suprême du Canada conclut que cette exclusion ne viole pas les Chartes. Le droit de négocier collectivement, protégé par la liberté d’association, ne veut pas dire que les cadres ont le droit de bénéficier du système de négociation prévu par le Code du travail.

La liberté d’association prévue par la Charte canadienne des droits et libertés garantit plutôt un processus. Autrement dit, les cadres peuvent tout de même exercer leur liberté d’association sans pour autant se syndiquer.

Et pour cause, le jugement explique bien que malgré cette exclusion législative, les personnes membres de l’Association sont parvenues à s’associer. L’Association a aussi négocié avec l’employeur un contrat qui met en place un cadre de collaboration et de consultation sur les conditions de travail de ses membres. De plus, si l’employeur ne respecte pas ses obligations, l’Association peut s’adresser aux tribunaux judiciaires. L’Association n’a donc pas été en mesure de démontrer que les cadres qu’elle représente se trouvent dans l’incapacité d’exercer leur liberté d’association ni de négocier collectivement avec leur employeur.

Conclusion de l’affaire : les cadres pourront difficilement obtenir une accréditation à titre de syndicat pour représenter leurs membres face à l’employeur en vertu du Code du travail.

Ce qu’en disaient les tribunaux inférieurs

Dans le milieu du droit du travail, cette décision était attendue. Avant que la Cour suprême du Canada ne tranche la question, les tribunaux inférieurs étaient en désaccord.

En 2016, le Tribunal administratif du travail (TAT) a rendu une décision. Cette dernière concluait qu’exclure les cadres de la définition de « salarié » viole la Charte des droits et libertés. Cette violation n’est pas justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique. Autrement dit, notre constitution permet au pouvoir législatif de limiter l’exercice de certains droits et certaines libertés si cela peut faciliter le mieux vivre ensemble.

Selon le TAT, l’Association ne bénéficiait pas d’un véritable processus de négociation de bonne foi des conditions de travail de ses membres. De plus, le droit de grève des membres de l’Association est supprimé sans qu’un autre mécanisme soit prévu, ce qui constitue, toujours selon le TAT, un obstacle important au droit à la négociation collective.

L’employeur, insatisfait de la décision du TAT, se tourne alors vers la Cour supérieure. Celle-ci conclut en 2018 que l’exclusion des cadres du Code du travail ne viole pas à la liberté d’association. En 2022, la Cour d’appel casse le jugement de la Cour supérieure et donne plutôt raison au TAT. Le jugement de la Cour suprême du Canada met fin à ce débat judiciaire.

Le saviez-vous ?

Ce jugement est une belle occasion de comprendre comment fonctionne notre système de justice. Tout au bout du processus judiciaire, après la Cour d’appel du Québec, le dernier tribunal auquel on peut s’adresser est la Cour suprême du Canada. C’est un tribunal qui siège à Ottawa et ne compte que neuf juges, dont trois proviennent du Québec. Ce tribunal ne s’intéresse qu’aux affaires susceptibles de changer un aspect social important au pays.