Pourquoi Québec ne nomme-t-il pas les juges de tous les tribunaux situés sur son territoire?

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Bien que le Québec gère les tribunaux sur son territoire, ce n’est pas lui qui nomme les juges à la Cour d’appel du Québec ou à la Cour supérieure du Québec, contrairement à la Cour du Québec ou aux cours municipales. La responsabilité revient à Ottawa. On vous explique pourquoi.

La question de la nomination des juges est revenue à l’avant-scène le 8 avril dernier. Le gouvernement du Québec souhaite en effet relancer une demande qui remonte à l’époque du premier ministre Maurice Duplessis : avoir le pouvoir de participer à la nomination des juges de tous les tribunaux au Québec. 

À la base du système de justice canadien 

Cette responsabilité fédérale de nommer des juges découle de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 (AANB), qui a établi les bases du système judiciaire canadien. 

Patrick Taillon, professeur de droit constitutionnel à la Faculté de droit de l’Université Laval, raconte que lors des négociations précédant la signature de la Constitution du Canada en 1867, deux visions s’opposaient et qu’un « compromis imparfait a été négocié ». 

D’un côté, le Québec, ainsi que, dans une certaine mesure, les provinces des maritimes, exigeaient du fédéralisme, donc un pouvoir décentralisé. De l’autre, John A. Macdonald et ses alliés souhaitaient, selon Patrick Taillon, faire du Canada « un mini empire britannique où il y aurait une hiérarchie entre le pouvoir central – le fédéral – qui serait un gouvernement au-dessus des autres » et les provinces qui « ont certes de l’autonomie, mais qui sont inférieures et subordonnées ». Un modèle qui s’inspirait du rapport de Londres avec ses colonies, soutient le professeur de droit constitutionnel.  

Nomination des juges par Ottawa 

Contrairement à des fédérations comme celle des États-Unis, les juges que nomme Ottawa interprètent à la fois du droit fédéral et du droit provincial. « On a voulu faire comme les British, c’est-à-dire un système judiciaire unique avec des tribunaux compétents en toutes matières », soutient Patrick Taillon. 

Des exceptions ont été créées par la suite, précise-t-il, mais le principe est d’avoir des juges de droit commun capables de juger du droit du travail, du droit de la famille ou encore, du droit constitutionnel.« On a dédoublé les gouvernements, on a dédoublé les parlements, mais on n’a pas dédoublé les pouvoirs judiciaires », résume Patrick Taillon. 

Le processus de nomination 

À Ottawa, la nomination des juges est encadrée par la Loi sur les juges. Cette loi se limite en revanche à définir les conditions légales de l’admissibilité des candidates et des candidats pour ce poste. Doit-on comprendre que le processus de nomination au fédéral ne se retrouve dans aucune loi ni aucun règlement? C’est ce qu’affirmait en 2016 Claude Provencher, un avocat qui a entre autres été conseiller en politiques au Bureau du Conseil privé et Commissaire à la magistrature fédérale, où il veillait justement sur le processus de nomination des juges fédéraux. 

Selon Patrick Taillon, depuis plusieurs décennies, les règles du jeu concernant la nomination des juges par Ottawa changent chaque fois qu’un nouveau gouvernement prend le pouvoir au Canada. En revanche, il ne peut que faire des demi-réformes, que le professeur qualifie de « paraconstitutionnelles », puisqu’une « partie du processus de nomination est protégée par la Constitution ».  

Ainsi, bien que le processus de nomination soit parfois modifié, la responsabilité de cette nomination demeure une prérogative de la Couronne, donc du gouvernement fédéral. 

De plus, tandis que le gouvernement du Québec doit choisir une ou un juge à partir d’une courte liste de trois personnes, à Ottawa, la banque de candidates et de candidats est beaucoup plus large. Selon Patrick Taillon, cela « laisse beaucoup plus de discrétion au politique », tandis qu’à l’inverse, « lorsque vous y alliez avec une courte liste, et un classement, le politique conserve un choix, mais son choix est nettement plus balisé ». 

Et c’est mal, docteur? 

Mais dans le fond, qu’est-ce que ça change que la nomination des juges de la Cour d’appel du Québec et de la Cour supérieure du Québec soit faite par Ottawa? 

Pour répondre à cette question, Patrick Taillon fait une analogie avec le hockey. « Qu’est-ce qu’on dirait sur le plan de l’indépendance institutionnelle, si chaque fois qu’il y a un match de hockey entre Boston et Montréal, c’était le directeur général de l’équipe de Boston qui choisissait l’ensemble des arbitres? demande-t-il. On dirait qu’ils sont compétents les arbitres, mais qu’il semble y avoir un problème de perception. » 

Le professeur en droit constitutionnel croit qu’une conomination des juges de la Cour supérieure et de la Cour d’appel – autrement dit, codécidée par Ottawa et Québec – serait un compromis acceptable pour régler ce problème de perception. Cela conduirait « à une magistrature plus centriste sur l’équilibre des pouvoirs entre le fédéral et les provinces », soutient Patrick Taillon. 

Une approche qui ne nécessiterait pas de rouvrir la Constitution, affirme-t-il, donnant l’exemple du gouvernement de Brian Mulroney qui nommait à l’époque les juges de la Cour suprême en collaboration avec les provinces.