Affaire Juste pour rire : un emploi peut-il vraiment être « à vie »?

Décryptage
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Le 13 juillet dernier, la Cour supérieure du Québec a ordonné la réintégration d’un salarié qui croyait avoir un emploi « à vie ». Son employeur était le Groupe Juste pour rire. C’était avant que sa faillite soit annoncée en mars 2024. En droit du travail, un emploi peut-il vraiment être à vie? Décryptage. 

Tout commence en 1993, lorsqu’André Gloutnay débute son emploi d’archiviste chez le Groupe Juste pour rire. Gilbert Rozon, alors président de l’entreprise, lui offre un contrat de travail à vie, 11 ans plus tard, en 2004. Mais il y a une contrepartie : Gilbert Rozon devient propriétaire de toutes les collections d’archives montées par André Gloutnay.  

Les choses se compliquent après la démission de Gilbert Rozon en 2017 : l’entreprise licencie André Gloutnay malgré la garantie d’emploi qu’il croyait avoir. Ce dernier conteste son licenciement devant la Cour supérieure du Québec qui prononce alors la validité du contrat d’emploi à vie et ordonne sa réintégration à son poste. 

En février dernier, la Cour d’appel du Québec reprend l’affaire en appel et confirme la validité du contrat d’emploi à vie de André Gloutnay. Toutefois, elle s’oppose à sa réintégration et propose plutôt une indemnité pour compenser sa perte de salaire jusqu’à l’âge de sa retraite. 

Peut-on mettre fin à un contrat de travail « à vie »? 

En droit du travail, les contrats d’emploi peuvent être de durée indéterminée ou déterminée. Dans le cas d’un contrat à durée indéterminée, votre employeur peut y mettre fin sans qu’il y ait de raisons disciplinaires ou liées à votre capacité d’exécuter des tâches. C’est ce qu’on appelle une résiliation de contrat de travail. En revanche, il devra vous accorder un préavis raisonnable ou vous verser une indemnité équivalente à votre salaire pour la durée du préavis.  

Pour ce qui est du contrat à durée déterminée, l’employeur ne peut pas mettre fin au contrat de travail sans motif sérieux avant son échéance. Et s’il le fait, il doit vous compenser les pertes subies. Par exemple, un employeur pourrait être tenu de vous payer non seulement le salaire auquel vous aurez normalement eu droit, mais aussi, une indemnité de dommages-intérêts contractuels.  

Le contrat d’emploi à vie n’est ni un contrat à durée déterminée, ni à durée indéterminée. La règle de droit dans ce type de contrat est qu’une personne employée doit pouvoir quitter son emploi si elle le désire. Les contrats d’emploi à vie entrainent un engagement à sens unique envers l’employé. En garantissant un emploi à vie, l’employeur renonce à son droit de résilier le contrat de travail sans pour autant empêcher l’employé de quitter son emploi. Et c’est exactement ce qu’il s’est passé pour André Gloutnay : le Groupe Juste pour rire était tenu de respecter son engagement jusqu’à l’âge de sa retraite. 

La réintégration de l’employé 

Cette affaire a permis de statuer la réintégration de la personne employée. Un tribunal peut-il ordonner sa réintégration au sein de l’entreprise si elle a été renvoyée alors qu’elle avait une garantie d’emploi à vie? 

Selon la Cour d’appel, pas dans tous les cas. Plusieurs facteurs permettent de déterminer s’il est possible d’ordonner à une entreprise d’intégrer une personne en emploi dans un autre poste : le fait que l’employeur soit une société par actions avec ses propres droits et responsabilités, la taille de l’entreprise et les fonctions de la personne salariée.  

Pour ce qui est d’André Gloutnay, la Cour d’appel refuse d’ordonner sa réintégration dans un autre poste. La raison? Puisque ce sont les aptitudes personnelles et uniques d’André Gloutnay, ses connaissances particulières en encyclopédie et d’autres caractéristiques qui lui sont propres qui ont été à l’origine de son contrat d’emploi et du poste et des fonctions qu’il occupait, la Cour refuse d’ordonner la réintégration dans un poste qui ne répond pas aux mêmes critères.  

Et la compensation dans tout cela? 

C’est une question que l’on est tenté de se poser lorsqu’on lit les jugements. Pour la Cour, étant donné l’impossibilité de réintégrer l’employé, une indemnité a été versée à André Gloutnay. Dans son cas particulier, l’indemnité correspondait au salaire qu’il aurait gagné jusqu’à sa retraite depuis son licenciement. Montant déterminé par la Cour : 660 500 $, ce qui correspond à 10,75 années de salaire.