De plus en plus de commerces refuseraient les paiements en argent comptant, une hausse qui inquiète les organismes défendant les droits des consommateurs.
« Changer la loi »
Face à cette hausse, plusieurs voix s’élèvent afin que le gouvernement fédéral agisse pour forcer les entreprises à accepter le comptant.
C’est le cas d’Alexandre Plourde, avocat chez Option consommateurs, mais également celui de la directrice générale de la Coalition des associations de consommateurs du Québec (CACQ), Laurence Marget. Cette dernière soutient dans un article récent du Journal de Montréal que « le gouvernement doit changer la loi pour que ça soit interdit de refuser le paiement en espèces ».
Actuellement, il n’y a pas de disposition législative au Canada obligeant un commerce à accepter un mode de paiement ou un autre. En revanche, certaines villes ou certains états américains ont adopté, ou du moins souhaitent adopter, des lois ou des règlements exigeant que les commerces acceptent l’argent comptant. C’est le cas du Massachusetts. La raison évoquée? Refuser un paiement en espèce représente une forme de discrimination envers les personnes qui ne possèdent pas de carte de crédit ou de compte bancaire.
« Des difficultés particulières »
Au cours de la pandémie, de nombreux commerces refusaient les paiements en espèces pour des raisons sanitaires, ce qui a poussé la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) à énoncer des principes à ce sujet.
Selon la Commission, un tel refus pourrait « être considéré comme discriminatoire », puisque cela peut entraîner « des difficultés particulières en fonction de motifs de discrimination interdits par la Charte [des droits et libertés du Québec], tels que la condition sociale, le handicap, l’âge et l’origine ethnique ou nationale ».
« La position développée pendant la pandémie parait d’autant plus valable aujourd’hui qu’en dehors de ce contexte précis, les tentatives de justification de l’effet discriminatoire sur la base de considérations sanitaires ne tiendraient plus vraiment la route », a précisé par courriel la CDPDJ.
Discriminatoire envers qui?
En entrevue avec Éducaloi, Évelyne Pedneault, conseillère juridique à la direction de la recherche de la CDPDJ, explique que l’énoncé de la Commission sur ce sujet a été fait à titre informatif et non à la suite d’une plainte.
La conseillère juridique ajoute que trois conditions sont nécessaires pour qu’il y ait une discrimination au sens de la Charte :
- Avoir une distinction, une exclusion ou une préférence,
- Être fondée sur un motif de discrimination,
- Avoir pour effet de compromettre l’exercice en pleine égalité d’un droit prévu à la Charte.
Ainsi, en refusant un paiement en argent comptant, cela pourrait avoir pour effet d’empêcher certaines personnes d’accéder aux services et aux biens offerts au public.
« On pense par exemple aux personnes en situation de pauvreté ou d’itinérance qui sont dans une plus grande proportion à ne pas avoir de compte bancaire, évoque-t-elle. On pense aussi à certaines situations de handicap ou même par exemple à l’âge. »
Évelyne Pedneault cite une étude d’Option consommateur indiquant que les personnes plus âgées ont davantage recours à l’argent comptant pour effectuer un paiement. « Nombre d’aînés peuvent être moins familiers avec les modes de paiement électroniques et éprouver des difficultés à s’y adapter », peut-on lire dans cette étude.
Une question d’hygiène
Même si la pandémie est derrière nous, certains restaurateurs mentionnent les questions d’hygiène pour justifier le refus de l’argent comptant, puisque parfois, ce sont les mêmes membres du personnel qui gèrent la caisse et qui cuisinent.
« Le fardeau de justifications d’une atteinte aux droits et libertés est quand même assez élevé, répond Évelyne Pedneault. Il faudrait qu’un commerçant démontre qu’il a une contrainte excessive et qu’il n’est absolument pas en mesure d’accommoder les personnes qui ne pourraient pas payer autrement qu’en argent comptant. »
Porter des gants, par exemple, peut résoudre ces questions d’hygiène.
Pour sa part, au marché Time Out, la foire alimentaire du Centre Eaton de Montréal, on dirige la clientèle vers une machine qui accepte les billets de banque en échange de jetons, peut-on lire dans une chronique du journaliste Louis-Philippe Messier.
Est-ce une solution acceptable afin de contrecarrer les effets discriminatoires de la décision des restaurateurs et tenanciers de ce marché de refuser les paiements en argent comptant? « Dans la mesure où les personnes ont ainsi un droit d’accès comme les autres aux biens et services offerts, c’est le genre d’accommodements qui pourrait être considéré », croit la conseillère juridique.