Trois ans de COVID-19 : la pandémie dans l’œil des tribunaux

Décryptage
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13 mars 2020. Le gouvernement du Québec déclare l’état d’urgence sanitaire. Sans le savoir, on vit les premiers moments d’une pandémie qui ne dit pas encore son nom. Trois ans plus tard, elle reste un événement hors du commun qui bouleverse encore notre quotidien. La rédaction vous a préparé ce dossier en deux volets centré sur les notions juridiques de la pandémie.

Pour contrer la montée du coronavirus, le gouvernement a mis en place plusieurs mesures sanitaires. Des citoyennes et citoyens ont contesté certaines d’entre elles devant les tribunaux. Comment ont-ils répondu à ces contestations ?

État d’urgence : une mesure renouvelée tous les 10 jours

Mars 2020. Le gouvernement déclare l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire du Québec. La déclaration de l’état d’urgence sanitaire est une des mesures permises dans la Loi sur la Santé publique. Cette mesure, qui n’avait jamais été utilisée avant la pandémie, a permis par exemple de limiter ou interdire des déplacements ou rassemblements.

Août 2020. Un citoyen invoque que le gouvernement n’a pas le droit de renouveler seul l’état d’urgence sanitaire tous les 10 jours. Il se fonde sur un article de la Loi sur la Santé publique qui prévoit que les députées et députés de l’Assemblée nationale doivent approuver les renouvellements de plus de 10 jours. Selon lui, les décrets qui renouvellent l’état d’urgence seraient invalides.

Janvier 2022. La Cour d’appel du Québec confirme que le gouvernement a le droit de renouveler l’état d’urgence pour des périodes de 10 jours, ceci sans être approuvée l’Assemblée nationale. Au total, l’état d’urgence sera renouvelé plus de 100 fois, entre le 13 mars 2020 et le 1er juin 2022.

Le couvre-feu : l’intérêt du public prime

Janvier 2021. Au début du mois, le gouvernement instaure un couvre-feu. Quelques jours plus tard, le tribunal doit se prononcer sur une demande pour suspendre son application. La personne qui demande cette suspension plaide une atteinte à ses droits et libertés individuelles et, de façon plus générale, à ceux de la population québécoise. Cette personne déplore ne plus pouvoir marcher, courir ou circuler en voiture seule ou avec des personnes vivant sous le même toit.

Février 2021. La preuve au dossier révèle que le décret adopté est dans l’intérêt du public et pour le bien commun. Son but est de protéger la population des risques rattachés à la propagation du virus. Le juge conclut que les bénéfices apportés par le couvre-feu sont plus grands que l’atteinte aux droits et libertés individuelles de la population.

Toutefois, une demande de suspendre l’application du couvre-feu a été accordée aux personnes itinérantes, à la suite d’un recours auprès de la Cour supérieure. Ces personnes n’ayant pas de domicile pouvaient difficilement respecter le couvre-feu. Elles étaient aussi plus à risque de recevoir une amende et d’être incapable de la payer.

En résumé

Un gouvernement peut limiter les droits et libertés individuels s’il le fait pour des raisons légitimes et importantes pour le bien-être de tous. Les tribunaux peuvent être appelés à analyser ces raisons et décider si la limite imposée aux droits individuels se justifie dans notre société.

Depuis 3 ans, plusieurs personnes ont contracté la COVID-19 au travail. Et le télétravail est devenu une réalité pour plusieurs d’entre nous. Comment les tribunaux ont-ils traité ces questions?

Parfois, la COVID-19 peut être un accident du travail  

Mai 2020.  Un homme qui travaille dans le domaine des transports fait le plein d’essence. Il constate alors avoir perdu l’odorat. Il se doute qu’il a attrapé la COVID-19. Il passe un test de dépistage. Résultat : positif. L’homme présente une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) invoquant avoir subi un accident du travail. Il est persuadé qu’il a contracté la maladie sur les lieux de son travail. En effet, il a eu des contacts rapprochés avec des collègues au cours des derniers jours et certains ont aussi contracté la maladie.

Octobre 2020. La CNESST considère que cet homme n’a pas subi un accident de travail. Elle refuse sa réclamation. L’homme s’adresse donc au tribunal administratif du travail (TAT).

Septembre 2021. Le TAT donne raison au travailleur. Le travailleur devait démontrer qu’il avait contracté la maladie lors d’un accident du travail. La preuve a démontré qu’il y a eu une éclosion de COVID-19 sur le lieu de travail du travailleur au moment où il a contracté la maladie. Le TAT a déterminé qu’il était plus probable que l’infection ait été contractée dans le milieu de travail qu’à l’extérieur de celui-ci.

Le TAT conclut donc que le fait d’avoir été en contact avec le virus de la COVID-19 peut constituer un événement imprévu et soudain. L’événement imprévu et soudain est l’une des composantes de la notion d’accident du travail.

Le saviez-vous? « Accident du travail » ne veut pas forcément dire incapacité de travailler. Ce n’est pas l’un des critères pour être en présence d’un accident du travail.

Un accident du travail à la maison, c’est possible

Septembre 2020. Une femme travaille de chez elle, au 2e étage. Au début de sa pause-dîner, elle descend l’escalier pour aller manger au rez-de-chaussée. Elle trébuche, tombe et se blesse. Pour son employeur, elle n’a pas subi d’accident du travail.

Février 2021. Cette femme s’adresse à la CNESST, qui reconnaît qu’elle a subi un accident du travail. L’employeur conteste cette décision et s’adresse au TAT.

Décembre 2021. Le TAT confirme la décision de la CNESST. Cette femme a bien subi un accident du travail. Un accident du travail, c’est un événement imprévu et soudain qui survient « par le fait ou à l’occasion du travail ». Le TAT conclut que l’accident est survenu « à l’occasion du travail ».

En effet, lors de l’accident, la femme est chez elle pour faire du télétravail : elle doit remplir ses obligations professionnelles auprès de son employeur. Dans le cadre de son horaire précis et déterminé par son employeur, elle peut prendre des pauses et une période pour dîner. Ces pauses font donc partie de l’organisation du travail déterminée par l’employeur.

En résumé

Dans certaines circonstances, contracter la COVID-19 peut être considéré comme un accident du travail donnant le droit à des indemnisations. Tout dépend des faits, y compris de la possibilité de prouver que l’exposition au virus était un événement imprévu et soudain.

Par ailleurs, une personne qui exerce son emploi en télétravail bénéficie des mêmes protections en matière d’accident du travail. Cela signifie qu’en cas de blessures, même à la maison, votre accident pourrait être considéré comme un accident du travail.