Déjudiciarisation, décriminalisation, légalisation : quelles différences?

Décryptage
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On apprenait récemment que le ministère de la Justice du Québec avait publié en 2023 un avis pour la déjudiciarisation de la possession simple de drogues au Québec. Une situation différente de celle de la Colombie-Britannique où la possession simple a été décriminalisée dans le cadre d’un projet pilote. Mais, quelle est la différence entre une déjudiciarisation et une décriminalisation qui ne sont ni l’une ni l’autre une légalisation? 

Lorsqu’on légalise une pratique, comme la consommation du cannabis, cela signifie qu’elle n’est plus illégale. Généralement, cette pratique sera encadrée par une loi. Des paramètres sont alors déterminés afin de définir les limites d’un droit, comme celui de la vente, de la production, de la possession et de la consommation d’un produit. Cela peut passer par la fixation d’un âge légal pour acheter par exemple du cannabis, ou encore, d’une quantité maximale qu’on peut faire pousser chez soi (si cela est interdit au Québec, il est permis de cultiver jusqu’à quatre plants de cannabis par résidence en Ontario). 

Autrement dit, la légalisation permet de reconnaître par la loi une pratique auparavant non réglementée et lève des interdictions liées à un comportement auparavant illégal. 

En ce qui concerne la décriminalisation, l’encadrement est plus limité. Par exemple, la décriminalisation de la possession simple de certaines drogues (opioïdes, cocaïne, méthamphétamine et ecstasy) en Colombie-Britannique ne signifie pas que ces drogues deviennent légales. Leur production, leur trafic et leur vente demeurent interdits.    

L’objectif de la décriminalisation est donc d’éviter l’application de certaines sanctions criminelles liées à une pratique (comme la possession simple d’une drogue). Une sanction non criminelle peut en revanche être appliquée et les autorités peuvent avoir recours à d’autres modalités, par exemple, en orientant une personne utilisatrice de drogues vers des soins de santé et de services sociaux. 

Le saviez-vous? 

La possession simple consiste à détenir une petite quantité d’une substance illégale pour un usage personnel, et non pour la vente.

Enfin, la déjudiciarisation s’inscrit dans le contexte actuel de prohibition. Ainsi, la loi n’est pas modifiée ni abrogée, mais des directives limitent son application ou du moins, précisent quand et comment elle devrait être appliquée. 

Pour y voir plus clair, voici quelques exemples de déjudiciarisation et de décriminalisation qui ne sont pas liés à la drogue. 

Déjudiciarisation de la non-divulgation de la séropositivité 

Au Canada, les personnes séropositives peuvent être poursuivies au criminel si elles n’informent pas leur(s) partenaire(s) de leur état de santé. Une non-divulgation annule en quelque sorte le consentement de leur(s) partenaire(s) à une activité sexuelle, car elle peut compromettre leur santé. Ce manque de transparence peut alors être considéré comme des voies de fait ou comme une agression sexuelle grave. 

Cependant, en mars 2019, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a publié un communiqué indiquant que des poursuites devraient être intentées seulement si le critère de la « possibilité réaliste de transmission » est établi. 

Pour établir ce critère, le DPCP se base sur une position du ministère de la Santé et des Services sociaux. Selon cet énoncé, le risque de transmission du VIH lors d’une relation sexuelle non protégée « est négligeable » lorsque la personne séropositive suit un traitement antirétroviral et maintient une charge virale peu élevée, voire « supprimée ».  

Dans une telle situation, des poursuites ne seraient pas justifiées selon le DPCP. 

Même si l’expression n’est pas utilisée dans le communiqué du DPCP, cette directive, comme celle de la possession simple de drogue, peut être considérée comme une déjudiciarisation de la non-divulgation de la séropositivité, bien que ce soit seulement dans des cas bien précis. 

Décriminalisation graduelle des relations sexuelles anales    

Toutes les formes de relations sexuelles n’ont pas toujours été considérées de manière égale au Canada. Dans le premier Code criminel canadien, adopté en 1892, les relations anales, qualifiées de « sodomie », étaient interdites. C’est seulement à partir de 1969 où les relations anales consensuelles entre épouses et époux, ainsi qu’entre des personnes âgées d’au moins 21 ans ont été décriminalisées.   

L’âge de consentement est passé à 18 ans en 1988 et il a fallu attendre presque 30 ans avant que les relations sexuelles annales soient permises pour les personnes âgées de 16 ans et plus, comme c’est le cas pour tout autre type d’activités sexuelles.   

Cependant, l’âge du consentement est de 18 ans dans certaines circonstances. C’est notamment le cas lorsqu’il y a une relation de confiance, de dépendance ou d’autorité entre les partenaires sexuels, comme dans le cas d’une enseignante ou un enseignant qui entretient une relation intime avec une ou un élève. 

Décriminalisation de l’avortement 

À l’instar des relations sexuelles annales, l’avortement était considéré comme un crime avant 1969. À partir de cette date, les médecins ont été autorisés à pratiquer des avortements dans des hôpitaux si la grossesse menaçait la santé ou la vie d’une femme. C’est seulement en 1988 que cet acte médical a été plus largement décriminalisé.   

Ainsi, le droit à l’avortement n’est pas protégé par une loi au Canada, mais plutôt par la jurisprudence, découlant d’une décision de la Cour suprême. Cette absence de loi régissant l’avortement explique en partie pourquoi aucune date limite légale pour se faire avorter n’a été fixée au Canada. 

Cela explique également pourquoi l’accès à cet acte médical demeure difficile dans certaines provinces. Et bien qu’il soit légal de se faire avorter à n’importe quel stade d’une grossesse, certains établissements ou médecins peuvent refuser de procéder à son interruption après le premier trimestre. 

En somme, l’avortement est bel et bien considéré comme légal au Canada. Et cela, même si cet acte médical n’est pas encadré par une loi, donc n’a pas été légalisé à proprement parler. 

Résumé

La légalisation implique qu’une activité auparavant illégale est maintenant légale et sera généralement encadrée par une loi.

La décriminalisation écarte certaines sanctions criminelles liées à un comportement sans pour autant légaliser ce comportement.

Avec la déjudiciarisation, le comportement visé par la loi demeure illégal, mais des directives limitent l’application de cette loi ou du moins, redéfinissent son application.