Peut-on poursuivre les journalistes en diffamation?

Décryptage
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Le mouvement #MoiAussi a lancé une nouvelle méthode d’enquête journalistique en matière de dénonciation publique. Mais est-ce légal? Peut-on poursuivre des journalistes en diffamation pour ces reportages? 

#MoiAussi est le nom d’un mouvement de dénonciation d’actes à caractère sexuel dans l’espace médiatique. Il a débuté en octobre 2017 aux États-Unis après la publication des reportages d’enquête journalistique du New York Times et du New Yorker. Ces reportages portaient sur des allégations de violences sexuelles commises par le producteur de films américain Harvey Weinstein. Des réactions à ces reportages ont déclenché une vague mondiale de dénonciations de violences à caractère sexuel sur les médias sociaux, accompagnée au Québec du mot-clic #MoiAussi (#MeToo). 

Dans la foulée, des enquêtes journalistiques québécoises inspirées de celles du New York Times et du New Yorker ont mené à la publication de reportages dévoilant des témoignages sur des violences à caractère sexuel. C’est à ce moment que des journalistes ont publié les reportages concernant Éric Salvail et Gilbert Rozon.  

Une méthode d’enquête inspirée de #MoiAussi 

La même méthode d’enquête que celle du New York Times et du New Yorker a été utilisée pour préparer un article paru en 2017 dans La Presse, Pluie de dénonciations contre un chorégraphe vedette. Le reportage a donné lieu à une poursuite en diffamation contre La Presse et les journalistes autrices du reportage. 

Dans cette affaire, les journalistes ont défendu les balises de leur méthode d’enquête inspirée du mouvement #MoiAussi. Ces balises sont : 

  • être en présence de plusieurs dénonciatrices et dénonciateurs, 
  • au moins une personne parle à visage découvert, 
  • les témoignages doivent décrire un « pattern » de comportement, 
  • les exemples relatés dans l’article doivent être corroborés, 
  • les témoignages doivent viser une personne en position d’autorité ou de pouvoir.  

Le tribunal a validé la méthode d’enquête employée par les journalistes, mais ce jugement d’août 2023 a été porté en appel. 

Les risques de diffamation  

Les enquêtes journalistiques jouent un rôle fondamental en démocratie en permettant de découvrir des scandales d’intérêt public et d’informer la population sur des questions sociales importantes. Parce qu’elle révèle des éléments souvent inédits et méconnus du grand public, l’enquête est un domaine important du métier.  

Mais ce type de journalisme n’est pas sans risque tant pour les journalistes que pour les personnes qui voient leur réputation être affectée publiquement. Pour les journalistes, un de ces risques, c’est d’être poursuivi en diffamation. Même si tous les reportages d’enquêtes journalistiques sont susceptibles de porter atteinte à la réputation des personnes au cœur de l’enquête, ils ne sont pas interdits pour autant. 

La diffamation en quelques mots 

Les tribunaux reconnaissent généralement qu’il y a diffamation lorsque des propos portent atteinte à la réputation d’une personne et entraînent une perte d’estime, une opinion défavorable ou une atteinte à sa dignité. La diffamation met en opposition les droits à la liberté d’expression et le droit du respect de la vie privée et la réputation.

Dans ce type de reportage, les journalistes doivent gérer le dévoilement d’informations importantes et un risque d’atteinte à la vie privée et à la réputation des personnes visées.  

Des règles pour les journalistes 

Une ou un journaliste, comme toute personne, peut être reconnu responsable de diffamation et devoir dédommager la personne dont la réputation a été injustement atteinte. Mais pour qu’elle ou qu’il soit reconnu responsable, la ou le journaliste doit avoir commis une faute dans son travail.  

Lorsque les propos qui portent atteinte à la réputation sont contenus dans un reportage d’enquête, le tribunal doit vérifier si le reportage porte sur une question d’intérêt public et si les normes journalistiques professionnelles ont été respectées. L’impression générale laissée par le reportage est un critère très important.  

Au Québec, la profession de journaliste n’est pas régie par un ordre professionnel comme certaines autres professions. Mais les tribunaux se réfèrent à des normes déontologiques du métier, que l’on retrouve dans le Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) ou celui du Conseil de presse. Plusieurs autres médias, comme la CBC/Radio-Canada, ont leurs propres normes et pratiques. Le tout peut aider les tribunaux à évaluer si une ou un journaliste a commis une faute en effectuant son travail.