Quand doit-on maintenir un enfant dans son milieu familial et quand doit-on le confier à une famille d’accueil? C’est le jeu d’équilibriste auquel est confrontée quotidiennement la protection de la jeunesse.
Une question avec laquelle la juge Lise Gagnon de la Cour du Québec jongle aussi régulièrement, « en collaboration avec les avocats, les travailleurs sociaux, les parents et parfois les adolescents qui se retrouvent devant [elle] », raconte-t-elle en entrevue à l’émission Angle Droit.
Si les médias mettent souvent l’accent sur les situations de crise, la juge soutient qu’il y a beaucoup de cas qui peuvent se régler à la Cour « quand tous les gens travaillent ensemble à trouver des solutions ».
Un manque de ressources et d’expertise
Des inquiétudes ont été soulevées au cours des dernières années sur le système de protection de la jeunesse au Québec, particulièrement à la suite du décès d’une fillette de 7 ans à Granby. Selon la juge Lise Gagnon, ce ne sont pas les outils qui manquent pour faire face à ce genre de problématiques.
« Les outils sont là, dit-elle. La difficulté actuellement, c’est que beaucoup d’intervenants ne restent pas en place assez longtemps. Le lien de confiance n’est donc pas là, parce qu’un intervenant qui se déplace d’un emploi à un autre n’arrive pas à bâtir un lien de confiance à long terme ».
C’est par ce lien de confiance qu’on peut vraiment aider les familles et les faire cheminer, ajoute la magistrate. « Si vous devez raconter votre histoire plusieurs fois, au bout de la cinquième fois vous êtes parfois un peu découragé. Les ressources sont absentes et ça, c’est un sérieux problème en ce moment au niveau de la protection de la jeunesse ».
La juge Lise Gagnon reconnaît que les intervenantes et intervenants sociaux font un métier difficile, soulignant que la mission de la protection de la jeunesse, c’est l’intervention forcée de l’état dans la vie d’une famille.
« On n’est pas les bienvenus et il faut avoir beaucoup de doigté. Souvent, les intervenants sont jeunes, moins expérimentés, explique-t-elle. Quand même on aurait la meilleure loi du monde, si on n’a pas les gens sur le terrain qui sont capables de l’appliquer, ça donne parfois des résultats mitigés. Ce n’est pas faute de vouloir. »
Enjeux culturels
En entrevue, la juge Lise Gagnon évoque le cas particulier des personnes récemment immigrées au Québec qu’elle doit accompagner dans leur intégration et leur compréhension des lois de leur pays d’accueil. Ces dernières ne sont pas nécessairement les mêmes que dans leur pays d’origine, entre autres en ce qui concerne la correction physique des enfants.
« Lorsqu’un comportement a été dénoncé, [on doit] délicatement les amener à comprendre qu’il faut qu’ils fassent autrement – mais sans nécessairement retirer les enfants du milieu familial – en les accompagnant et en leur demandant d’adopter de nouvelles méthodes », raconte-t-elle.
Dans ce genre de situations, si on souhaite que la démarche soit constructive, il est important selon la juge que les intervenantes et intervenants comprennent bien cet enjeu culturel.
« Évidemment, si quelqu’un commet un geste très grave, l’enfant sera retiré, précise-t-elle. Il n’y a pas de passe-droits pour une communauté culturelle. Mais, dans l’appréciation de ce que doit être une correction acceptable, il y a quand même une marge de manœuvre où on peut faire un certain travail avec la famille qui peut être très satisfaisant à long terme. »
Cœur de guimauve
L’encadrement parental demeure important pour la juge Lise Gagnon, racontant qu’elle est parfois confrontée à des parents qui « ont de la difficulté à mettre des limites ».
« Je parle souvent à ces mamans qui arrivent devant moi et je leur dis : “Vous madame, vous avez un petit cœur en guimauve, il faut vous renforcir un peu si vous voulez que votre fils ou votre fille comprenne qu’il y a des règles”. »
Des interventions qui sont souvent accueillies par des sourires, affirme la magistrate. « [Ces mères] savent bien que je ne veux pas les blâmer, mais si le parent n’arrive pas à mettre des limites, des règles et un encadrement, on va manquer le bateau parce que quand l’enfant va revenir à la maison, les mêmes problèmes vont refaire surface. »