Le 10 juin dernier, le Tribunal des droits de la personne a conclu qu’une femme trans avait été discriminée à l’embauche. Le tribunal a statué qu’un bar de Montréal avait refusé de l’engager comme serveuse en raison de son identité de genre, ce qui contrevient à la Charte des droits et libertés de la personne.
Le gérant d’un bar situé dans l’arrondissement Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension à Montréal a refusé d’embaucher une femme lorsqu’il a appris qu’elle est une personne trans. Pourtant, il se disait au départ intéressé de l’engager comme serveuse. En outre, la femme trans avait suivi une formation non rémunérée avec une employée qui n’avait que de bons mots pour la candidate.
Profondément affectée par cet épisode, la femme a porté plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). Elle considère que ce refus d’embauche est discriminatoire et a été décidé en raison de son identité de genre.
Jugeant que la plainte est fondée, la CDPDJ a décidé de porter le dossier devant le Tribunal des droits de la personne et de représenter la plaignante.
Le tribunal a donné raison à la plaignante et a condamné l’employeur à lui verser des indemnités de 118,40 $ pour la formation non rémunérée, 10 000 $ à titre de dommages pour préjudice moral, ainsi que 4 000 $ à titre de dommages punitifs.
Qu’est-ce que la transidentité? La transidentité concerne les personnes trans qui ne s’identifient pas au genre qu’on leur a attribué à la naissance sur la base de leurs organes génitaux. Une femme trans est donc une personne désignée homme à la naissance, mais qui s’identifie comme femme. Selon le recensement de 2021, 0,14 % de la population du Québec de 15 ans et plus s’identifie comme une personne trans. Cette proportion s’élève 0,27 % si l’on se concentre sur la tranche d’âge des 15 à 34 ans. |
Discrimination dans l’embauche
La femme trans a appuyé sa plainte sur la Charte des droits et libertés de la personne qui indique qu’on « ne peut exercer de discrimination dans l’embauche ». Cette interdiction s’applique à plusieurs aspects liés à l’emploi, comme la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mise à pied ou les conditions de travail d’une personne.
Pour conclure qu’une discrimination a été commise, une distinction, une exclusion ou une préférence doit compromettre la reconnaissance et l’exercice des droits et libertés de la personne. Une discrimination peut être fondée par exemple sur l’origine, le handicap ou encore l’orientation sexuelle d’une personne, mais aussi, depuis 2016, sur l’identité ou l’expression de genre.
Dans le cas qui nous intéresse, c’est après avoir constaté des intonations masculines dans le ton de voix de la femme que le gérant a demandé si elle est trans. À la suite de sa réponse positive, le gérant a affirmé qu’il ne pouvait pas l’engager. La raison évoquée par l’employeur selon le témoignage de la femme? La clientèle du bar serait « vieux-jeu » et le gérant ne veut pas être contraint à prendre sa défense tous les jours.
Le Tribunal des droits de la personne a conclu que la femme trans a été victime de discrimination, mais également qu’elle a vécu de graves préjudices. On peut lire dans le jugement que la femme a eu des pensées suicidaires et a développé « une obsession quant au timbre de sa voix ». Une situation qui l’a poussé à faire deux séjours aux États-Unis pour être opérée aux cordes vocales.
Des exceptions
Un employeur peut recourir à une distinction, une exclusion ou une préférence sans que celle-ci soit considérée comme discriminatoire, lorsque les qualités ou les aptitudes requises pour un emploi le justifient. Ces exceptions peuvent être fondées sur les caractéristiques de l’emploi ou sur les caractéristiques de l’organisme.
Pour justifier son refus d’embauche de la femme trans, le motif soulevé par le gérant est le risque à la sécurité, une exigence donc liée aux caractéristiques de l’emploi. De solides justifications sont nécessaires pour que cette exception soit valide.
L’employeur doit d’abord démontrer que l’objectif de cette exigence est légitime et pas fondé sur une intuition, comme dans le cas présent, où le gérant prétend que sa clientèle est « vieux jeu ». Ensuite, il doit faire la preuve que cette exigence est nécessaire à l’exécution des fonctions essentielles du poste et qu’il ne pouvait y déroger sans devoir faire face à une contrainte excessive. Une contrainte peut être considérée comme excessive si elle implique entre autres un risque grave ou un coût exorbitant.
Par exemple, la Cour supérieure du Québec a conclu en 2016 que des camionneurs sikhs portant le turban doivent se coiffer d’un casque de protection pour charger et décharger leur cargaison au Port de Montréal, bien que cela brime peut-être leur liberté religieuse. Une décision qui a été justifiée par les impératifs de sécurité.
Un employeur a la responsabilité, selon Loi sur la santé et sécurité du travail, de protéger les personnes qu’il emploie. Cela implique de « prendre les mesures pour assurer la protection du travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psychologique ».
Dans le cas de la femme discriminée, le tribunal a indiqué que les préjugés ou préférences de la clientèle ne justifient pas un refus d’embauche. Ce risque grave ou excessif à la sécurité de la serveuse n’a pas été démontré par l’employeur.
Porter plainte pour discrimination Si vous croyez avoir été victime de discrimination, vous ne pouvez pas porter plainte directement au Tribunal des droits de la personne. Il faut d’abord le faire auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). Si la CDPDJ considère que la plainte est fondée, elle peut porter le dossier devant le Tribunal des droits de la personne et représenter la plaignante ou le plaignant. Il arrive aussi que la CDPDJ décide que la plainte est fondée, mais se retire du dossier. Dans ce dernier cas, la victime elle-même ou la personne qui a porté plainte pour la victime peut, à ses frais et selon certaines conditions, poursuivre ses démarches devant le Tribunal. |